Le drainage en milieu forestier compatible avec l’aménagement durable

Le drainage en milieu forestier est considéré comme un traitement sylvicole, c’est-à-dire un ouvrage qui tend à améliorer le rendement (volume/unité de temps) d’une surface donnée, tout en rendant celle-ci plus facilement accessible.

Historique

Au début des années 1980, le drainage réalisé à grande échelle dans les pays scandinaves a ravivé l’intérêt pour ce traitement sylvicole au Québec. Des prévisions d’augmentation significative de rendement, couplées à des programmes de subventions, ont permis la réalisation de plusieurs centaines de kilomètres de fossés en forêts privées. Ces fossés devaient être excavés avec un godet en \_/ , qui possédaient des angles (pour le profilement des talus) bien précis, pour une durée de vie estimée à ± 20 ans. Ainsi, pratiquement n’importe quel secteur humide (incluant les tourbières) pouvait être drainé, puis reboisé.

Quelques décennies plus tard en Scandinavie, on réalise l’impact négatif sur les écosystèmes forestiers comme les milieux humides et les tourbières. Le rabaissement de la nappe phréatique et les impacts négatifs sur la faune et la flore, qui colonisaient ces riches écosystèmes, sont apparus.

Pendant ce temps au Québec, on a tous entendu parler de projets de drainage qui ont causé un dommage à l’environnement, suite à un manque de planification et, il faut bien le dire, à des connaissances limitées des impacts possibles.

Le drainage en milieu forestier doit être considéré comme une spécialité, qui implique une connaissance et une expérience approfondie. Mentionnons qu’à prime abord, on considère généralement qu’il existe deux types de projets de drainage. Le premier, que nous appellerons « drainage d’appoint », et un second, qui vise carrément à rabaisser la nappe phréatique, que nous appellerons « drainage en profondeur ».

Le drainage d’appoint

Le drainage d’appoint, comme son nom l’indique, n’a pas pour but de modifier en profondeur les conditions de drainage, il sert plutôt à corriger une situation et est souvent associé à un drainage de surface. Évidemment, tout type de zones sensibles (milieu humide, tourbière, milieu arboré avec un drainage mauvais ou très mauvais, …) sont exclus. Un élément très important, est qu’on ne peut se fier à 100 % à la cartographie pour déterminer s’il s’agit d’une zone sensible ou non. Des experts doivent effectuer un relevé terrain, et déterminer le contour d’une zone sensible (milieu humide, cours d’eau, présence d’espèces menacées ou vulnérables, frayère, …). Il est fréquent, d’ailleurs, que les cartes existantes ne soient pas à jour. La règlementation municipale (MRC) et celle du Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques doivent évidemment être respectées.

Ce type de drainage se caractérise par de mauvaises conditions de drainage faciles à corriger, par exemple afin de rediriger un fossé exutoire créé par le ministère des transports ou une municipalité. Il peut aussi s’agir d’une très petite cuvette où, par exemple, un chemin forestier doit être réalisé. Il est mal aisé de décrire toutes les situations possibles mais, en clair, l’intervention génère très peu d’impacts significatifs sur l’environnement et demeure, la plupart du temps, circonscrite.

Cependant, il est malheureusement possible que même un drainage d’appoint ait des conséquences significatives sur l’environnement. En effet, peu importe le type de projet de drainage forestier à réaliser, la planification, l’analyse des incidences du projet et les mesures de mitigation à appliquer sont primordiales. De façon non-exhaustive, voici quelques éléments que le professionnel doit considérer lors de la planification d’un projet de drainage :

Planifier un projet

  • Analyser des alternatives;
    Répertorier les zones sensibles cartographiées (milieu humide, présence d’espèces menacées ou vulnérables, la végétation présente, …;
  • Localiser la zone concernée par le problème de drainage versus les zones sensibles pouvant se trouver à proximité;
    Étude des photos aériennes, des cartes écoforestières, de la topographie et du réseau hydrique;
    Réaliser un inventaire forestier, faunique et floristique du secteur et en périphérie;
    Analyser le sol (silt, argile, gravier, …);
    Établir l’ampleur du projet (superficie de la surface humide);
    Calculer la surface du bassin versant;
    Choisir une récurrence (élément fort important puisque cela permet de connaître la précipitation maximale reçue une fois par 20, 50 ou 100 ans);
    Dimensionner les ouvrages (largeur du fond, profondeur et angle des talus du futur fossé);
    Calculer les vitesses maximales acceptables et mesures de mitigation à appliquer;
    Estimer les coûts du projet.

Mentionnons que le bassin de sédimentation qui étaient réalisés, il y a plusieurs années, consistant la plupart du temps à excaver un bassin de plusieurs mètres carrés, à plus de 20 mètres du cours d’eau en aval, n’est plus recommandé. Les risques d’accidents (noyade), la difficulté de vidanger ces fosses et le fait qu’elles se remplissaient de sédiments rapidement, ont remis en question l’utilité de ce type de fosse de fortes dimensions, d’une efficacité discutable.

La technique de la pente 0°

Nous privilégions plutôt de nos jours, un design de fossé, et des mesures de mitigation mieux intégrées. Ainsi, la forme des fossés de drainage en forêt sera plutôt semblable aux classiques fossés de chemin public, c’est-à-dire en forme évasée. La pelle mécanique devant inévitablement excaver de coté. La technique de la pente 0°, pour le fond du fossé, est aussi privilégiée, la vitesse de l’eau étant la principale cause de l’érosion.

La technique de la pente 0° nécessite la création de seuils (voir photos). Lorsque la pente de l’exutoire est trop importante, cette technique est toujours applicable mais on doit excaver des fossés à pente 0° en cascade, c’est-à-dire de nombreux fossés de faible longueur avec des seuils.

Un fossé de drainage devrait s’apparenter à un cours d’eau naturel. En environnement, l’aspect esthétique est un considérant significatif, c’est pourquoi le déblai devrait être disposé de façon non seulement à ne pas nuire à l’écoulement naturel mais à s’intégrer à l’environnement.

Le drainage en profondeur

Le second type de projet de drainage « le drainage en profondeur » qui vise à récupérer des « secteurs humides » en rabaissant la nappe phréatique, de façon générale, est inapproprié dans un contexte de souci de respect de l’environnement et surtout, de la certification forestière FSC®. Ce type d’intervention entraîne des changements importants au niveau de l’écosystème. La flore qui colonisait cet écosystème dépérit pour être remplacée par une flore mieux adaptée. Les habitats fauniques se trouvent alors profondément modifiés.

L’aménagement des propriétés boisées doit s’inscrire dans le respect de l’environnement. De plus en plus de règlements municipaux viennent d’ailleurs encadrer le drainage, dans le souci d’amenuiser les impacts sur l’environnement. Les travaux sylvicoles doivent être compatibles avec l’aménagement durable.

Ainsi, le drainage forestier (drainage d’appoint) peut donc être compatible avec l’aménagement durable, voire la certification forestière FSC. Cependant, chaque projet est du cas à cas. Une planification méticuleuse et un bon suivi permettent normalement la réalisation d’ouvrages pour lesquels les impacts sur l’environnement (puisqu’il y en aura toujours) sont acceptables.

Claude Chabot, ing. f., M. Env.